SOSSI

Sossi, c’est la responsable du comité d’aide aux réfugiés et déplacés arméniens pour la ville de Kamishli*. Ses comptes, écrits à la main, sont tenus au dollar près. Dans un très très épais cahier à lignes dans lequel il reste – …. – énormément de pages blanches. Elle connait personnellement chacune des 540 familles arméniennes de Kamishli. Et leurs besoins, au dollar près.

Elle nous dit que plus de la moitié des arméniens de Kamishli ont quitté la région. Mais ils ont été rejoints par des Arméniens qui viennent des villes prises par l’Etat Islamique – comme Raqqa – ou qui se situent dans des zone frontalières avec Daech – comme Alep ou Hassaké- , trop dangereuses. Kamishli est déjà très dangereuse. Il y avait déjà eu des attentats-suicides mais depuis décembre 2015, ceux-ci sont de plus en plus nombreux et de plus en plus meurtriers. Les attentats-suicides à la voiture ou au camion piégé, c’est comme cela que Daech se bat: exploser des civils et foncer sur les lignes de fronts. « Drôle d’ennemi », disait un peshmerga*, « qui lui n’a pas besoin de retourner chez lui après le combat ». Un autre peshmerga nous précise que ce ne sont plus seulement des combattants qui se font sauter dans les villes, mais parfois des civils désespérés à qui Daech a promis 10 000 dollars, pour la famille.

Les Arméniens qui restent à Kamishli, restent soit parce qu’ils n’ont pas le choix, soit parce qu’ils trouvent que leur devoir est de rester sur leur terre, de ne rien abandonner. Mais la vie continue, on pleure et on rit. Il y a encore de délicieux restaurants, des réunions de familles – très bruyantes et où l’on trinque beaucoup où il y a toujours un cousin Armen ou Bédo qui a trop bu- et de très longues messes.

C88A7694Sossi n’a pas besoin d’être féministe pour être efficace. Elle se tait dans les réunions du conseil de la communauté où il n’y a presque que des hommes, elle sert le café, mais c’est à elle qu’on pose toutes les questions pour avoir des réponses exactes.

Elle ne nous le dira pas mais Sossi c’est une maman. Qui a perdu son fils. De la plus bête et triste des manières. Il était, comme beaucoup de jeunes hommes, dans le groupe de défense de la communauté. Une sorte de milice arménienne bénévole qui fait des rondes toute la nuit pour protéger le quartier. Plus des courageux petits scouts armés que des guerriers. Il avait 19 ans. Il nettoyait son arme et un coup est parti.

Un coup parti, un café, un cahier à ligne très épais, au dollar près. 540 familles arméniennes qui tiennent le coup à Kamishli – un peu – grâce à Sossi.

Photos et interview: Marie. Kamichli. déc 2015.

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*Kameshli c’est une ville du Nord-Est de la Syrie, à la frontière avec la Turquie, la ‘capitale’ du Rojava, le ‘Kurdistan Syrien’. C’est mis entre guillemets parce que la région autonome du Kurdistan Syrien (Rojava) n’existe pas officiellement. Mais de fait, la Syrie est actuellement coupée en trois:

  1. Une partie, à l’ouest, côté Liban, contrôlée tant bien que mal par le gouvernement de Bachar el Assad (qui se bat contre Daech avec l’aide de la Russie, de l’Iran et du Hezbollah, milice chiite libanaise).
  2. A l’Est, une partie contrôlée par Daech.
  3. Et 3. Une partie au nord-est, le Kurdistan syrien, qui est contrôlée par les forces kurdes (et dans une moindre mesure, les forces syriaques -) du Parti de L’Union démocratique (PYD), un parti proche du PKK (les indépendantistes kurdes de Turquie).

(On pourrait parler aussi des zones contrôlées par les rebelles Djhadistes d’Al Nosra (les copains d’Al Qaïda), celles de l’Armée Syrienne Libre ((les rebelles nationaliste nés des mouvements citoyens du printemps arabes) et encore celles des autres groupes salafistes…. Mais ne compliquons pas tout!)

Personnellement, mon cœur de féministe est fan de du PYD, le parti des kurdes de Syrie, car inspiré du marxisme, ils prônent une égalité Homme-Femme parfaite (ce qui dans la région, est une exception incroyable). Leur armée, les YPG ont d’ailleurs 40% de femmes dans leur rang, ce qui, d’après certains leur donne un avantage contre les djihadistes « car ces derniers – dit-on – pensent être privés du paradis s’ils sont tués de la main d’une femme ».C88A7658

Quand j’ai rencontré les femmes du Conseil militaire syriaque (la milice syriaque), l’une d’elles m’a dit que les armes même des combattants femmes n’étaient pas récupérées par Daech, car elles étaient jugées impures. Je leur ai alors proposé de coller des étiquettes Hello Kitty sur les armes de tout le monde <héé. maline, y en a là-dedans> mais elle m’ont regardée comme si j’étais débile et au jour d’aujourd’hui je ne comprends pas pourquoi. .

Dernière info sur Kameshli, et après, vous serez des spécialistes, une part importante des habitants de la ville sont chrétiens.

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* Peshmerga signifie « qui regarde la mort en face » en kurde. Ce sont les militaires kurdes d’Irak.

En Syrie, les combattants kurdes s’appellent YPG – Unité de protection du Peuple – (les journalistes les appelle parfois aussi Peshmerga, ce qui embrouille tout).

Les Peshmerga (en Irak) et les YPG (en Syrie) se battent contre Daech au Nord et à l’Est. Daech est à cheval sur la Syrie et L’Irak.

L’Etat Islamique était d’ailleurs très fier, quand Mossoul (grosse ville en Irak) a été prise et qu’ils ont de fait, supprimé la frontière entre la Syrie et l’Irak, qui avait été crée artificiellement (par opportunisme occidental et non par souci démographique local), à la chute de l’Empire Ottoman en 1916, par les anglais et les français  lors des accords de Sykes Picots.